Mgr Audo, évêque d’Alep : “nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons besoin de démocratie”

Mgr Audo, évêque d’Alep : “nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons besoin de démocratie”
“Mais la modernité et la démocratie ne viennent pas du jour au lendemain. Il faut une éducation, une formation politique, une pensée personnelle, une liberté pour choisir.”
Monseigneur Raffin a accueilli Monseigneur Antoine Audo, évêque chaldéen d’Alep, à l’évêché de Metz le 13 juin 2012. Interview du diocèse de Metz au sujet de la situation de la Syrie.
Quelle est la situation actuelle de la Syrie ?
Comme vous le savez par les médias, la Syrie est actuellement au centre d’une crise politique et culturelle, régionale et internationale. En parler est très complexe car il s’agit de regarder en détail ce qui se vit en Syrie et aussi tenir compte de la situation internationale.
Actuellement, les chrétiens sont une petite minorité ancrée dans le pays et très affectée.
Nous sommes plutôt dans une situation d’inquiétude par rapport à l’avenir, car nous ne savons pas ce qui peut arriver d’ici un mois, un an…
Nous continuons à vivre malgré la crise économique et malgré les poches de violence qui se répandent un peu partout en Syrie. Nous restons dans une grande inquiétude. Nous essayons, en tant que chrétiens, de prier pour la paix et de susciter des dialogues et de la conciliation, mais ce n’est pas avec beaucoup de facilité.
Quelle est la situation des chrétiens en Syrie ? Sont-ils persécutés ?
Il ne faut pas exagérer. On ne peut pas dire qu’il y a des persécutions contre les chrétiens : jusqu’à maintenant, il n’y a rien qui soit dirigé directement contre des chrétiens. Mais dans un contexte de violence et de déstabilisation du pays comme c’est le cas actuellement, ce sont toujours les minorités qui paient parce qu’elles sont fragilisées et ne sont pas organisées, surtout que les chrétiens ne sont pas armés alors que les autres groupes s’arment les uns contre les autres. Dans une situation de guerre civile, ce sont toujours les minorités qui paient.
Quelle est la place des minorités en Syrie ?
Il y a un paradoxe qu’il faut comprendre.
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D’un côté, il y a le parti Baas, qui veut être depuis l’origine un parti laïc, ce qui fait du bien aux minorités et en même temps ce parti laïc n’a pas pu surmonter toutes les tendances confessionnelles.
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D’un autre côté le président de Syrie, Bachar-al Assad appartient à la minorité alaouite avec son épouse sunnite.
Ces difficultés confessionnelles font problèmes et peuvent causer des violences et des vengeances.
Est-ce que le concept de « laïcité positive » a une existence en Syrie ?
Le pape Benoît XVI a utilisé le concept de « laïcité positive » tout comme Nicolas Sarkozy pour souligner cet aspect positif pour notre société. A l’intérieur même du Synode des évêques pour le Moyen-Orient en 2010, il y a eu une réaction contre ce concept : on a voulu l’éviter pour ne pas froisser les sentiments des musulmans en général. On a préféré le concept de « citoyenneté » qui passe beaucoup mieux.
Le concept de « laïcité positive » insiste davantage sur la séparation du religieux et du politique. Celui de « citoyenneté » implique plutôt une différence entre la dimension politique et religieuse et cela peut être davantage accepté par les musulmans traditionnels.
Le printemps arabe a-t-il été un élément déclencheur de ce qui se passe en Syrie ?
On a développé beaucoup de choses sur le printemps arabe.
A vrai dire, nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons besoin de démocratie, de la dignité de l’homme, du respect, de toutes les valeurs de la liberté. Tous les régimes mis en place il y a une cinquantaine d’années ont besoin de cette démocratie. Le simple peuple comme les intellectuels sont assoiffés de valeurs de la modernité. Mais la modernité et la démocratie ne viennent pas du jour au lendemain. Il faut une éducation, une formation politique, une pensée personnelle, une liberté pour choisir. Actuellement, nous n’avons pas une culture qui soit capable de porter tout cela. Le risque est de remplacer une dictature militaire par une autre dictature théocratique. C’est ce que l’on craint.
En étant réaliste, voyez ce que l’Irak a donné : la moitié des chrétiens a quitté le pays et moi je les ai vu arriver, nombreux, en Syrie. Regardons aussi ce qui se passe en Tunisie. Le mot laïcité est rentré dans le vocabulaire pour dire séculier. En Egypte, il y a aussi des points d’interrogation on se demande ce que cela va donner.
Nous cherchons un avenir pour nos églises. L’idéal qui nous conduit est de travailler au service de l’homme pour qu’il y ait plus de justice, pour qu’il y ait un dialogue interreligieux sincère et franc suivant toutes les valeurs que le Concile Vatican II nous a encouragé à développer :
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la liberté religieuse,
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le dialogue interreligieux,
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l’œcuménisme pour que toute cette approche du religieux soit capable de nourrir une théologie musulmane qui ne soit pas dans le sens de l’enfermement.
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